origines de la classe franco-américaine
107
Chapitre 4
Champagne et jus de fruit
À la fin de chaque séjour, les mairies donnaient des
réceptions en l’honneur des Américains et j’ai une quantité
énorme de ces articles qui représentent la remise du
drapeau de l’État américain et de la ville au Maire.
Pourtant, de plus en plus, un message m’était susurré à
l’oreille : « Pourquoi pas nous ? »
Pour le traduire en langage clair : pourquoi ne pas faire
partir les petits Français aux États-Unis puisque les
Américains venaient chez nous ! Ce voyage semblait
impossible surtout dans le cadre des classes de neige. Un
séjour dans le Colorado aurait coûté une fortune et aucun
établissement n’était conçu pour cela, contrairement à la
France. Je n’y songeais même pas : je pensais que mes
idées étaient des plus folles mais aller jusqu’à embarquer
une classe de gamins parisiens pour la Sierra Nevada,
USA, était non seulement inconcevable mais irréalisable.
Un petit « quelque chose », cependant, me triturait les
méninges. Inconcevable, irréalisable, peut-être mais pas
impossible. En réalité, à l’audacieux, au téméraire, rien
n’est impossible et je croyais me placer dans cette
catégorie d’individus. À y réfléchir, à tourner le problème
sous tous les angles, il y avait sans doute une solution.
Laquelle ? D’abord prenons cette initiative à l’envers : je
fais partir une classe. Quel est le coût possible ? Où
l’emmener ? Que faire des gosses ? Il faut que
l’expérience soit pédagogique et bien encadrée, d’où la
disponibilité d’une salle de classe la journée et un
hébergement la nuit, tout cela dans une enveloppe
financière bien déterminée. Au cours des réunions qui se
tenaient après le voyage et où les familles américaines
partageaient leurs impressions, plusieurs parents me
demandèrent ce qu’ils devaient faire pour accueillir à leur
tour, le petit correspondant de leur fils ou fille.
Évidemment, pas question pour une famille française
même aisée de lâcher son enfant dans la nature à prendre
l’avion de Paris pour Chicago. Le voyage, l’été, coûtait
cher et n’apportait aucune garantie quant à l’intégration ou
à la réception. Mais l’idée germait que les Américains
étaient prêts à accueillir un jeune Français.
Depuis 1975, les CM 2 (fifth grade) américains
venaient en France et il existait certainement une solution
à l’échange complet. Alors je fis de savants calculs : coût
du transport par enfant, séjour dans les familles, mise à
disposition d’une salle de classe dans une école du
système scolaire.
Au cours d’une rencontre avec mon ami Norman
Lipsky, président du conseil d’administration des écoles
de Cedar Rapids, (voir « classe de neige franco-
américaine »), je l’entretins d’une possibilité de faire
venir une classe française pendant quatre semaines. Il me
regarda longuement, moins éberlué que lors de ma
première proposition, sachant que l’individu en face de lui,
sortait d’étranges idées de sa manche. Plus rien ne
l’étonnait de ma part. Alors souriant et surtout confiant, il
me répondit : « Pourquoi pas, puisque nous envoyons les
nôtres là-bas ! »
Aussitôt dit aussitôt fait : convocation des parents du
niveau 4, – CM1 en France – explication du projet,
demande d’intérêt des parents. Le résultat dépassa toute
attente : tous les parents voulaient recevoir, même ceux
qui n’auraient jamais envoyé le leur. On recensa à cette
seule réunion plus de cent familles prêtes à jouer le jeu.
Suffisamment pour une classe de trente. Voire deux
classes. Je soulignai auprès des autorités, l’obligation
d’être très attentif dans le choix des familles. Pas
forcément les plus riches où l’enfant français resterait
entre les mains d’une nounou, mais des familles unies – ce
qui était souvent encore le cas en 1976 en Amérique – qui
s’occuperaient bien de leur nouvel enfant. Le petit
Français reçu ne devait jamais en aucun cas, être vu
comme un invité mais un enfant qui devait obéir de la
même façon que le leur. Pas de privilège, intégration totale
dans la famille, pas un hôte de marque. À la première
réunion des parents volontaires, j’insistai et répétai à de
nombreuses reprises cette condition.
Fort de cette mise en place et après une visite aux
bureaux Air France pour voir mon sympathique chef
d’escale qui m’assura les mêmes tarifs que pour les petits
Américains à condition que les départs évitent les
vendredis très chargés, je repartis vers la France. La
question devint cruciale : quelle ville oserait tenter une
telle aventure ? Quel maire aurait le courage d’envoyer
des gamins de dix ans aussi loin ? Quelle serait la réaction
des habitants de la ville apprenant que des gamins se
payaient, au frais de la princesse, un voyage fabuleux vers
les Amériques alors que beaucoup souffraient de
logements exigus, de rues mal entretenues, de services
sociaux qui laissaient à désirer ? Quel inspecteur primaire
ou même d’Académie oserait accorder cette autorisation
de laisser partir une classe en Amérique ?
Versailles ? Saint-Germain-en-Laye ? Saint-Cloud ?
Sèvres ? Neuilly-sur-Seine ? Péricard ? Perretti ?
Fourcade ? Sarkozy ? Lenormand du parti communiste qui
enverrait ses gosses dans le pire de ses ennemis : le pays
capitaliste proprement dit ? Recevoir, ce n’était pas partir,
car c’étaient les petits Américains qui subissaient
suite origine de la classe franco-américaine