Origines de la classe franco-américaine 2
l’influence de notre culture. Mais imprégner les enfants de
Sèvres de cette mentalité : toujours plus grand, toujours
plus fort, toujours plus dominateur ne se concevait pas.
Longtemps, je temporisai et reculai pour faire cette
proposition à quiconque. Mais l’occasion me fut tendue
sur un plateau. Au cours de la réception à la Mairie de
Sèvres pour les Américains qui avaient séjourné à
Villeneuve-la-Salle avec une classe de l’école de la Croix
Bosset, en février 1976, le Maire, M. Georges Lenormand,
s’approcha de moi et me dit en plaisantant : « Et les
nôtres, quand partent-ils en Amérique ? » Je le regardai
ahuri : un membre du parti communiste français me
demandait s’il pouvait envoyer ses gamins aux États-Unis.
Du tac au tac, je lui répondis : – C’est du domaine du
possible !
— Mais le prix sera exorbitant, avança-t-il avec une
grimace.
— Combien coûte votre classe de neige ?
— Je ne sais pas trop, c’est mon chargé financier qui
s’en occupe.
— Demandons-lui maintenant, si vous voulez.
Le maire se retourna et alla chercher la responsable de
l’éducation, Me Delapraz, employée chez Renault et le
financier, M. Marel.
Le chargé des finances réfléchit quelques instants et dit :
— Le coût par enfant à la commune est d’environ
1 750,00 F, ce qui inclut le transport, l’hébergement, les
cours de ski et quelques visites et les frais des adultes.
Mais les familles règlent une quote-part calculée selon le
quotient familial, certaines familles ne payant rien.
Ce fut à mon tour de réfléchir : des chiffres s’alignèrent
dans ma tête mais j’avais déjà, à plusieurs reprises, fait des
calculs savants : coût du transport aérien, car de liaison
aéroport-école américaine, frais des adultes. Le tarif aérien
serait légèrement supérieur à celui des classes de neige
puisque le séjour se ferait en mai, tarif mi-saison pour des
moins de 12 ans. Or j’avais réglé le billet des petits
Américains 180 dollars pièce, ce qui faisait environ 900 F
au taux du moment : 1 dollar = 5 F. Ajouter 60 F par
enseignant puis environ 40 F pour le transport terrestre,
50 F pour l’assurance et 100 F pour frais de bureau – frais
de déplacement, envoi courrier, téléphone et autres –
j’arrivais à la somme totale de 1 150,00 F Une louche de
plus pour faux frais, dépenses inattendues, augmentation
des prix, marge de manœuvre, je pouvais arriver à faire
partir une classe pour un coût total par enfant de
1 350,00 F, soit environ 400 F de marge confortable que
l’on pourrait qualifier de bénéfice.
Les 1 350,00 F assureraient le bon déroulement du
nouveau programme surtout si l’on instaurait un deuxième
volet, le retour des Américains qui avaient reçu, par une
réciprocité.
Alors sans plus aucune hésitation, je me tournai vers le
Maire, M. Lenormand, et lui dis d’une voix ferme :
— D’accord pour les emmener en Amérique au lieu de
les envoyer à la neige.
Mes trois interlocuteurs me regardèrent longuement, ne
sachant si je plaisantais ou faisais une proposition
sérieuse.
— Mais, ajoutai-je, car l’obstacle à franchir était
maintenant d’ordre administratif, demandons l’avis de
l’Inspecteur.
Comme M. Amélineau, inspecteur départemental et
directeur de l’École Normale d’Antony était présent à la
cérémonie des adieux, il fut facile de le cerner entre nous
dans un coin. C’était un homme posé, plein de bon sens et
qui aimait l’innovation dans l’enseignement. Il avait
embrassé le concept des classes de neige franco-
américaines avec enthousiasme et avait été l’un des
moteurs du succès dans les écoles de Sèvres.
Attentivement, il écouta l’énoncé de la proposition,
posa quelques questions sur les détails de façon à s’assurer
qu’il y aurait les garanties absolues pour un séjour sans
problème : qui choisirait les familles car il y avait une
différence entre recevoir un week-end et trois semaines ?
Je répondis : le système scolaire américain et ses services
sociaux. Il parut satisfait de la solution. Quelle compagnie
aérienne serait choisie ? Il pensait aux premiers charters et
il n’en voulait pas. – Air France, dis-je comme pour les
enfants américains. La compagnie nationale lui convenait.
Quelles dates ? – A débattre le plus tôt possible, au plus
tard dans les quinze jours, dès qu’il aurait eu un entretien
avec l’inspection d’Académie et éventuellement le
Ministère de l’Éducation Nationale, section internationale.
Il certifia pouvoir nous apporter une réponse dans ces
délais.
Notre groupe se sépara sur des poignées de mains, nous
promettant de nous revoir dès que possible et surtout de ne
pas ébruiter l’affaire au cas où elle n’aboutirait pas.
Fin mars, les mêmes se retrouvèrent dans le bureau du
Maire avec des réponses qui nous réjouirent. L’inspecteur
avait d’excellentes nouvelles : l’Inspecteur d’Académie
donnait son accord pour une telle expérience surtout qu’il
avait eu vent et rapports des bienfaits des classes de neige
franco-américaines. Quant à l’Éducation Nationale, elle
voulait avoir toutes les données du programme avant de
l’approuver : la clause essentielle était qu’aucun enfant ne
serait exclu de la classe sélectionnée pour le projet.