Ilkya: arrivée des officiels

Publié le par andre-girod.over-blog.com

Arrivée des officiels, 6 juin 1994 à Omaha Beach

 

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      De temps à autre, comme perdue au milieu des gradés supérieurs, une femme tentait de maintenir l’allure cadencée des hommes de guerre. Dans ses jumelles braquées sur un nouveau peloton de militaires qui venait de déboucher de derrière une palissade, Robert Thompson aperçut une douairière cernée par une coterie diligente. Une pimpante confidente suivait. La vieille dame très digne dans son attitude en tête du peloton, devait tenir une position officielle influente car les deux aides de camp qui l'accompagnaient s'adressaient à elle avec beaucoup de déférence. Elle tentait de suivre leurs paroles à moitié avalées par la bourrasque qui commençait à gronder et d'un geste ferme mais délicat retenait un immense chapeau nullement fait pour ce genre d'intempérie. Décorum oblige ! Pouvoir et argent immunisent de la crainte du ridicule et de l’emphase. Les sommités ne faisaient que suivre les propos d’Epicure rapportés par Plutarque : « Les hommes épris de gloire et d’ambitions ne doivent pas se tenir en repos mais suivre leur nature en prenant part à des activités publiques . . . Les hommes ont voulu se rendre illustres et puissants pour asseoir leur futur sur des fondements solides. . . Ambition vaine car les luttes qu’ils soutiennent pour arriver au faîte des honneurs en ont rendu la route pleine de dangers. . . » Par contre la rétine égrillarde de la caméra s’égayait fort devant un tel étalage d’enlevures et d’enluminures. Elle lappait le camaïeu excentrique, amalgame de non conformisme et de baroque, source d’excitation visuelle qui fait un admirable canevas d’enregistrement. Tous les objectifs s’étaient braqués comme des gueules de loups affamés vers l’objet de leur fantasme et de leurs désirs. Et c’était tant mieux que la bienséance protocolaire certainement dispensée par un fascicule de bonnes manières insistât sur le port d'un tel accoutrement pour un raout de cette importance. Alors la marquise faisait bonne figure mais réagissait immédiatement lorsque le bord du malheureux chapeau se prenait soudain des envies de soucoupe volante. Et sans briser le tempo de son pas, sans se retourner, en maintenant une prestance aussi gracieuse que se peut, se sentant observée par une multitude prête à s'exclaffer sinon à sourire du malheur des grands, elle fendait l'air tourmenté avec une remarquable ténacité. Derrière elle, à deux pas, la camériste, svelte dans un tailleur bien coupé et sans coiffure, s'évertuait de devancer les caprices de son évergète. La meute défila devant la tribune et se dirigea vers les sièges officiels. Robert Thompson les suivit jusqu'aux marches recouvertes d'un tapis rouge puis jusqu'aux chaises disposées en lignes sur une plateforme. La hiérarque au galure vert se vit désigner un fauteuil au premier rang et ses compagnons relègués à deux ou trois gradins derrière. Le journaliste ne sut l'identifier sur le champ. D'autres délégations arrivaient. Des civils, des militaires, quelques égéries et de nombreux gardes de corps. Il était facile de les différencier: cheveux courts, enveloppés dans un imperméable de couleur neutre, l'oreillette plantée dans le conduit auditif, la bosse sous l'aisselle ou le long des côtes, preuve d'un port d'arme et surtout l'oeil monté sur roulements à billes qui balayait tout alentour comme un feu de phare. Ils devaient être d'autant plus vigilants que la sécurité des forces françaises, comme tout service secret étranger le sait, est souvent laxiste et débonnaire. C'était la manière détendue des Français d'assumer une garde rapprochée et les américains en particulier, craignaient toujours le pire lorsqu'ils devaient assurer la protection de leurs officiels en France. Les fameux "cops" ou les "G-men" du FBI étaient particulièrement sensibles aux mouvements de foules débordantes. Mais la galéjade suivie par des spectateurs qui avaient du mal à grimper les degrés,  présentait un danger moindre que celle où aurait été admise une foule de jeunes. Que de précautions prises pour protèger un haut dignitaire de l'Etat ou une vedette qui sortait de l'ordinaire comme dans le monde du spectacle, du cinéma ou du sport. Les "chosen few", les "triés sur le volet" par le destin devaient se parer de tous bords lorsqu'ils se déplaçaient au milieu d'un lieu public. A toutes les époques, la protection des grands personnages présente d’énormes difficultés surtout lorsque le notable se fend de demandes étranges et refuse parfois de suivre l’itinéraire recommandé et préparé de longue date. Tous les gorilles mis en poste doivent être réajustés au pied levé et la panique se lit sur le visage des responsables de la sécurité. Un tel individu était le Tsar Pierre le Grand . Tsar ou Star, il agissait comme une diva, se moquant ouvertement des contraintes de l’étiquette et donnant des cheveux blancs à son entourage. Lors de sa visite à Versailles en 1717, il transforma son séjour en véritable casse-tête, un cauchemar pour ses cerbères et ses hôtes français. A l’improviste, il s’échappait comme un garnement, un collégien qui fait le mur pour retrouver sa dulcinée. Le brave Maréchal de Tessé et les soldats chargés de sa protection tentent souvent en vain de le suivre. Trop tard, car le leste et solide Pierre le Grand a tôt fait de les semer en sautant dans une cariole ou en fuyant par de petites allées et sortant par des portes dérobées. Soulagé d’être libre, il se mêlait au petit peuple, trinquait avec eux, et côtoyait les badauds.

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